10 mai 2020

Conclusion

Strasbourg,
Mai 2020



Désormais, je suis poudre de moi-même.
Je nourris tes arbres qui m’absorbent peu à peu.
Et font bien.
Pourquoi ?

Parce que, même mort, j’aurais pu continuer de dévaster le Monde.

J’aurais encore tout acheté, tout souillé, tout tué.

C’était trop bon et je ne pouvais pas m’en empêcher. C’était trop fort. Ce désir insatiable me rongeait. L’insatisfaction permanente. Le « Jamais assez ». Addiction à tout. Le gouffre interne était trop grand, béant ! Et tout ce que je consommais ne pouvait jamais le combler !

C’était d’une tristesse… Car je le savais… Je me regardais déjà d’en haut alors que j’étais en bas ! Je me jugeais et c’était encore pire !

Remplir, remplir. J’étais plein. Mon logement était plein, mes placards étaient pleins, mes sacs, mes poches, mes meubles, mon estomac. Et j’étais vide car rien ne me satisfaisait. Ce n’était pas ce que je cherchais.

Dans le même temps, d’autres étaient vides. Des personnes. Des êtres humains. Des congénères. Des frères. Mes frères. Vides. Et abimés. Réellement. Corporellement.

Je le savais. Mais je n’avais pas pris le temps de réfléchir. Je ne voulais pas. Je n’avais pas la force de lutter. Car mon confort me convenait. Je devais cacher ma honte de ne pouvoir assumer ces injustices et ces inégalités. J’étais modelé, sculpté, formaté, malade.

J’aurais bien sûr pu choisir de faire autrement. D’ailleurs, j’y avais pensé un jour ! C’était un mardi de pluie. Je voulais transformer ma vie et le Monde, et que chacun me suive un peu ! Cette folie soudaine était la Logique.

J’aurais vécu simplement. De nourriture, d’eau, d’un peu de santé minimale. Et d’airs de musique pure : le chant des oiseaux, le ruisseau, le vent, la feuille qui frémit, le feu qui crépite, le nuage … Non, pas le nuage. Ou alors oui, mais par besoin de calme. Je me serai déplacé à la force de mes pieds, car j’en ai ! J’ai la chance d’en avoir ! Si je n’en avais pas, j’aurais demandé à mon ami de me transporter dans une brouette en bois ! Il l’aurait fait car nous aurions tous été solidaires. Nous nous serions troqués des services. Je lui aurais chanté une chanson en échange. Ou je l’aurais fait rire pendant une heure. Et son amie m’aurait apporté ce que je ne savais fabriquer : un pull pour l’hiver grâce à la laine de mes moutons, dont je lui aurais fait cadeau du surplus. Et nous aurions mangé le mouton ensemble en septembre. Pourquoi pas ? Nous aurions œuvré ensemble dans notre petite communauté. Besoins simples, organisation simple. Vie simple. Et Paix.

J’aurais pu retirer de mes yeux les deux énormes poutres que je situais toujours dans l’œil du voisin.

J’aurais pu les tenir et les secouer en l’air à pleines mains ! Je les aurais montrées, ces poutres !

Mais je les ai gardées et les ai enfoncées encore plus. Cela m’a fait mal. Cela m’a brisé. Je me suis consumé, délité. C’est alors que j’ai pensé que …

…J’aurais pu être Arbre !

Aujourd’hui, je ne suis presque plus rien. Je me dis que ce n’est pas si mal. Mes semblables – ceux qui ont ôté leurs poutres – ont survécu à l’apoplexie du Monde. Ils vivent en symbiose avec la Nature. Comprennent. Respectent. Utilisent le savoir de leurs ancêtres à bon escient. N’achètent plus, ne souillent plus, ne tuent plus pour rien.

C’était mon souhait, caché dans mes poutres.


Myosotis

Te souviens-tu, Narcisse ?  De mémoire je t'offrais Ces petites fleurs bleues Et tu vis dans mes yeux  L'amour de ton reflet. Frêles...